En 1960, 80 % des femmes françaises déclaraient posséder au moins cinq jupes dans leur garde-robe. Aujourd’hui, la majorité privilégie le pantalon, toutes générations confondues. Certaines écoles interdisent encore le port de la jupe, tandis que d’autres la recommandent.
Les codes vestimentaires se transforment, nourris par des contraintes professionnelles, des évolutions sociales et des mouvements féministes. Ce changement soulève des questions sur la liberté, l’identité et le confort. Les raisons qui poussent à délaisser la jupe s’inscrivent dans une histoire complexe, faite de ruptures et d’adaptations.
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La jupe, un symbole en pleine évolution
La jupe n’a pas toujours été réservée au vestiaire féminin. Longtemps, elle a traversé les époques et les civilisations, portée aussi bien par les hommes que par les femmes. Des drapés de l’Égypte ancienne aux kilt écossais, ce vêtement ne connaissait pas de frontières de genre. Progressivement, l’histoire a figé la distinction : la jupe devient “naturellement” féminine, symbole d’une identité façonnée par les normes sociales. L’historienne Christine Bard le souligne : la jupe, associée à la féminité et à l’élégance, a longtemps incarné un ordre patriarcal. L’accès au pantalon pour les femmes, acquis de haute lutte, a marqué une étape dans la conquête de droits nouveaux.
Puis, la mini-jupe surgit. Mary Quant la crée, André Courrèges la propulse, et le public la découvre sur Catherine Deneuve, Brigitte Bardot ou Twiggy. Les années 60 s’enflamment : la mini-jupe devient manifeste, revendication d’une liberté féminine inédite, geste d’insolence face à une société corsetée. Elle fait scandale, divise, fascine. Dans la rue, elle libère le mouvement, mais expose aussi à la critique et à la convoitise. Symbole d’émancipation, elle porte en elle la tension entre désir d’autonomie et regard social.
Depuis, la jupe ne cesse de se réinventer. Miuccia Prada propose chez Prada et Miu Miu la micro-jupe qui s’affiche en couverture de magazines. Pourtant, la pièce-phare s’efface dans la vie de tous les jours. Alice Pfeiffer, journaliste, analyse le phénomène : « Il n’y a pas d’unisexualisation dans la mode, seulement une masculinisation globale. » Autrement dit, si la jupe a été le théâtre de luttes, elle voit aujourd’hui sa place questionnée, ballottée entre affirmation de soi et refoulement. Son histoire continue de refléter les rapports changeants entre hommes et femmes.
Pourquoi voit-on de moins en moins de femmes en jupe ?
Depuis les années 1960, les femmes ont adopté massivement le pantalon. Cette pièce, longtemps réservée aux hommes, s’est imposée comme le signe d’une plus grande autonomie. Le pantalon offre une aisance nouvelle, accompagne la mobilité et simplifie le quotidien. De Saint Laurent à Courrèges, les créateurs l’ont intégré à leurs collections, dessinant des silhouettes taillées pour la ville, le travail, la vie moderne.
La jupe n’a pas disparu, mais sa portée symbolique pèse plus lourd que sa présence réelle. Elle évoque toujours la féminité et l’élégance, mais s’invite surtout lors d’événements particuliers. Au quotidien, elle s’efface. Plusieurs facteurs expliquent ce glissement :
- Le confort du pantalon, qui protège et rassure, notamment face à la sexualisation persistante des corps féminins ;
- La pression sociale : la jupe reste soumise au jugement, alimentant fantasmes et commentaires ;
- L’uniformisation progressive du vestiaire urbain, où le pantalon est devenu le standard pour tous, quelle que soit la génération.
Pour Alice Pfeiffer, ce n’est pas tant une fusion des genres qu’un basculement vers des codes de plus en plus masculins. Le pantalon est devenu la norme partagée, alors que la jupe oscille entre affirmation, questionnement et effacement, selon les milieux et les époques.
La jupe s’est éloignée des routines vestimentaires, même chez celles qui la portaient naturellement. Les témoignages recueillis révèlent d’abord une recherche de confort : « Je mets des pantalons parce que j’ai froid, parce que je marche, parce que je cours », confie une cadre de cinquante ans. Le pantalon libère les déplacements, permet de s’asseoir sans contrainte, d’échapper aux regards insistants. Une étudiante va plus loin : « La jupe, c’est joli, mais il faut toujours surveiller comment on s’assoit, ce que pensent les autres. »
La pression sociale reste tenace. Les normes vestimentaires assignent encore à la jupe des rôles ambigus : séduction, provocation, vulnérabilité. Certaines femmes expriment une crainte persistante du jugement ou du harcèlement. Dans la rue, la longueur d’une jupe peut encore déclencher des réactions inattendues, et le sentiment d’être observée n’a pas disparu.
Mais la liberté de choix s’impose comme une revendication partagée. Ce que beaucoup demandent, c’est pouvoir alterner, choisir selon l’humeur ou la situation : jupe, robe, pantalon ou short, sans devoir se justifier. « La jupe, je la garde pour les jours où j’ai envie de me sentir différente, pas pour répondre à une attente extérieure », explique une jeune ingénieure. L’enjeu n’est pas de tourner le dos à la féminité, mais de la réinterpréter, de l’inscrire dans de nouveaux usages.
Plusieurs femmes rappellent que la mode avance, mais que le regard collectif tarde à évoluer. La jupe, jadis symbole de conquête, devient un terrain où se croisent identité, praticité et désir d’affirmation.
Histoires et anecdotes : quand la jupe raconte nos sociétés
La jupe traverse les récits partagés autant que les souvenirs personnels, révélant la complexité des liens sociaux. Dans les années 60, la mini-jupe explose sous l’impulsion de Mary Quant et André Courrèges. Portée par Catherine Deneuve, Brigitte Bardot, Jane Fonda ou Twiggy, elle incarne une liberté conquise, mais aussi la surprise, voire l’agacement, des générations plus anciennes. Les jeunes filles l’adoptent, les parents s’interrogent, certains milieux sociaux s’inquiètent de voir les conventions bousculées. La jupe devient alors le reflet d’une société en pleine mutation.
La mode continue d’explorer la frontière entre convenance et provocation. Plus récemment, la micro-jupe de Miu Miu, signée par Miuccia Prada, s’affiche partout et relance les débats sur la visibilité de la féminité. La jupe s’impose alors comme un laboratoire de nouvelles audaces, parfois de tensions, toujours d’expériences partagées.
Dans certains cas, le vêtement devient même un acte militant. Romain, professeur en Normandie et membre du collectif « Hommes en jupes », décide de porter kilt, sarong ou hakama dans son établissement. Les élèves acceptent, la direction stoppe net l’expérience. Ici, la jupe dépasse la simple question de style : elle interroge les lignes de genre, et fait émerger des débats sur l’identité et l’espace social.
Des artistes comme Young Thug, qui pose en robe, ou Paul Kaplan, styliste pour Gamut, brouillent les frontières et renouvellent les codes. La jupe, loin de n’être qu’un simple vêtement, tisse le récit de nos aspirations, de nos divisions, et parfois de nos combats les plus intimes.
Finalement, difficile de prédire si la jupe regagnera en visibilité ou poursuivra sa discrète mutation. Mais chaque choix vestimentaire, chaque pièce portée ou délaissée, continue de raconter nos sociétés bien au-delà du miroir.